Média 100% indépendant, en accès libre, sans publicité, financé par ses 1617 donatrices et donateurs ce mois-ci !

Faire un don

À la Gaîté Lyrique, l’autogestion des mineurs en lutte

Ce vendredi 7 février, les mineurs non reconnus qui occupent la Gaîté Lyrique à Paris depuis bientôt deux mois étaient convoqués au tribunal administratif de Paris. Ils ne sont pas que des mômes en lutte. Ils sont un collectif, celui des jeunes du parc de Belleville, convaincus que les mineurs concernés doivent défendre leurs droits par eux-mêmes, pour eux-mêmes. En autogestion face aux menaces d’expulsion, ils sortent manifester le même jour pour faire valoir leurs droits. Une décision du tribunal est attendue dans les prochains jours.

« Ils m’ont dit de venir ici, que c’était un hébergement ». Assis sur une caisse, son sac à ses pieds, en retrait du brouhaha ambiant dans la Gaîté Lyrique occupée, Ouattara tourne machinalement une enveloppe entre ses doigts. Son regard, lui, est ailleurs. Autour de l’adolescent, la vie s’active: des groupes de jeunes discutent, rient, jouent au ballon, tentent de récupérer des heures de sommeil ou une tondeuse à la main, s’improvisent coiffeurs pour leurs camarades. Comme plusieurs centaines d’autres mineurs isolés non reconnus, ce jeune de seize ans dort ici, privé de ses droits, à même le sol.

Hall de la Gaîté Lyrique occupée, ©Philippe Grangeaud pour le collectif des jeunes du parc de Belleville

Le collectif des jeunes du parc de Belleville a investi ce lieu culturel parisien le 10 décembre dernier. La préfecture de Paris parle « d’occupation illicite », ils s’en moquent: les voici aujourd’hui près de quatre cents, contre deux cents à leur arrivée il y a bientôt deux mois. Et pour cause, les organismes qui veulent les voir partir de l’établissement redirigent eux-mêmes les jeunes ici, témoigne Élise, une militante venue en soutien: « Beaucoup de jeunes arrivent avec l’adresse de la Gaité Lyrique sur un post-it ». Pourtant, le collectif, sans existence juridique, reste ignoré par la mairie qui freine des quatre fers pour ne pas avoir à le reconnaître.

Ouattara, est arrivé à la Gaîté lyrique mi-janvier, après son évaluation expéditive pour être pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance. Dans l’établissement, les jeunes attendent des mois avant l’examen de leur recours. Pendant ce laps de temps, ils sont livrés à eux-mêmes, sans accès à la santé, à l’école, à un logement décent ou au minimum vital. Alors que l’État a fui ses responsabilités, le collectif des jeunes du parc de Belleville a pris le relai. Depuis plus d’un an, le collectif réalise des actions comme cette occupation pour faire valoir leurs droits. Selon ses membres, elles ont déjà produit des effets: huit cents jeunes auraient été hébergés et deux cents scolarisés suite aux actions.

Les membres du collectif affirment que la maire de Paris n’a répondu à aucune de leurs sollicitations, préférant s’exprimer à leur sujet sur BFM TV. Abdoulaye, un des tout premiers délégués du collectif, fait son entrée dans les locaux, un café à la main. Il a connu Belleville, l’occupation de la maison des Métallos et a participé à constituer le collectif. Plusieurs jeunes se lèvent pour venir le saluer. Pour Au Poste, il confirme: « On n’a pas reçu un seul sou de la mairie, pas même une bouteille d’eau. On n’existe pas tant qu’on n’est pas reconnu par la justice, d’où l’importance de s’auto-organiser. »

des occupants se reposent à la Gaîté Lyrique, ©Philippe Grangeaud pour le collectif des jeunes du parc de Belleville

«Chacun sait ce qu’il doit faire»

« Gassim a été placé ! ». Alexandre*, un soutien régulier, fait irruption dans le hall de la Gaité Lyrique, sourire aux lèvres. En gravissant les escaliers bordés par des dizaines de vêtements qui sèchent sur la rambarde, il distribue checks et poignées de main. À ceux qui peuvent l’entendre, il répète: « Gassim a été placé ! ». L’intéressé, qui prendra la parole un peu plus tard sous les acclamations de ses camarades, tente de réaliser ce qui lui arrive: « C’est grâce à ce collectif, c’est grâce à la lutte ! ». Comme d’autres avant lui qui ont obtenu gain de cause lors de leur recours, il a demandé à être placé à Paris pour rester proche du collectif et continuer de lutter à leurs côtés.

Ici pas de chef, les membres du collectif s’auto-organisent. Représentés par des délégués, une poignée au regard du nombre de jeunes isolés présents, ils gèrent eux-mêmes l’occupation : repas, ménage, réunions, actions. « On fait deux réunions par semaine », explique Abdoulaye. Gérer l’occupation d’un lieu qui ne les accueille que contraint et les besoins de ses quatre cents occupants harassés par la fatigue n’est pas une mince affaire. Mais les actions conjointes ont forgé la solidarité qui règne au sein du collectif. « Chacun sait ce qu’il doit faire », témoigne Mohamed, lui-même délégué depuis le début de l’installation ici. « C’est à nous de lutter pour nos droits », ajoute-t-il.

Dans un coin au fond de la pièce, quelques jeunes se sont agglutinés autour d’un vieux babyfoot rafistolé. La partie vient de commencer. Un de leurs camarades passe le balai pendant que d’autres montent des caisses de nourriture à l’étage en vue de la distribution. L’autogestion est un pilier du collectif. « On est tous racisés, si on ne s’entraide pas, personne ne le fera », explique Abdoulaye. « Aux associations, l’humanitaire. », le collectif, lui, se donne pour mission d’attaquer le problème à la racine et de donner de la légitimité à tous. Il résume: « Nous, nous ne sommes pas des mineurs non accompagnés, nous sommes des mineurs en lutte. »

des occupants se reposent à la Gaîté Lyrique, ©Philippe Grangeaud pour le collectif des jeunes du parc de Belleville

Une manifestation le 7 février

Le collectif est né dans le parc de Belleville, au Nord de Paris. Réunis autour d’un groupe WhatsApp, les jeunes ont commencé à se voir tous les dimanches. « On transmettait ce que l’on avait appris de nos droits », se souvient Abdoulaye. Lorsqu’un collectif d’habitants du quartier (20ᵉ Solidaire) est venu à leur rencontre, ils ont organisé eux-mêmes les distributions alimentaires avec la conviction qu’ils sont les seuls à devoir organiser la lutte pour la reconnaissance de leurs droits.

Cette fois, ça y est, la mairie s’est décidée à répondre à leurs appels à l’aide: ce vendredi 7 février, les jeunes étaient convoqués devant le tribunal administratif pour être expulsés de la Gaîté Lyrique. Pour la mairie, c’est l’urgence de prévenir le risque qui prime: elle fait état d’un danger d’incendie accru à l’intérieur du lieu culturel, inadapté pour un tel accueil, le nombre d’occupants ajoutant au risque. Les avocats du collectif s’étonnent toutefois que la mairie, si elle s’inquiète de ce danger, méconnaissait jusqu’à la veille le nombre de jeunes présents. Malgré tout, l’occupation des locaux est subie.

« On va perdre. » L’issue ne fait guère de doute pour Jon, un soutien historique du collectif, qui, micro en main, prend la parole lors de l’Assemblée générale de cette semaine. Dans le même temps, une centaine de jeunes, assis par terre, sur des tables, partout où il reste de la place, donnent de la voix pour soutenir l’intervention. 

Mercredi 5 février, les jeunes en lutte organisent une conférence de presse et appellent à la manifestation, ©Tommy Corvellec, Au Poste

Malgré cela, la volonté de se mobiliser est intacte. Ils comptent sur la direction de la Gaîté Lyrique, qui déplorait encore la situation dans son communiqué du 10 janvier, mais tenait ferme ses positions: « Les conditions sanitaires se dégradent jour après jour et les équipes affrontent seules cette situation. Bien que cette occupation soit subie, il est impensable pour la Gaîté Lyrique de rejeter à la rue ces personnes en plein hiver ». L’administration y réitérait, auprès des autorités compétentes, son appel à trouver au plus vite une solution de logement, dans le respect et la dignité humaine. 


Le collectif des jeunes du parc de Belleville, lui, manifeste avec ses soutiens le jour de l’audience. À défaut de la justice, ses membres visent une victoire politique. Le groupe, ici comme ailleurs, fait leur force: ils sont nombreux, leurs soutiens aussi, alors il faut que ça se voit: « Vous n’êtes pas une personne puis une autre, vous êtes un collectif ! », scande Jon, pour qui cette mobilisation doit servir de signal aux pouvoirs publics. Contactée, Léa Filoche, adjointe chargée de l’hébergement d’urgence et de la protection des réfugiés, affirme qu’il n’est pas question de procéder à une expulsion même si le tribunal devait intercéder en faveur de la mairie. « Nous ne l’avons jamais fait depuis 25 ans et il n’y a pas de raison que ça change maintenant. La doctrine de la ville est toujours la même en la matière: nous n’expulsons personne de nulle part s’il n’y a pas de proposition de prise en charge digne et pérenne », précise-t-elle. Une déléguée s’empare à son tour du micro et prévient: « Même si la manif est interdite, on sera là. On arrive ! »

*le prénom a été modifié

Article précédent
Claire Girka Renaud Chaput Desdu #AuPoste

Mastodon, le tueur de Twitter

Article suivant
Messe #AuPoste

Stream de messe et tambouille dominicale

2025 EN AVANT!

L’extrême droite qui rafle la mise, partout. Les libertés fondamentales attaquées de toutes parts. Une gauche de gauche à reconstruire. Plus que jamais une presse réellement indépendante, et pas pareille, est nécessaire.

Je fais un don #AuPoste

Dons déductibles des impôts (66%) au nom du pluralisme de la presse.