« On ne va peut-être pas pouvoir tenir l’été. » À Briançon, les deux principales structures d’accueil des personnes exilées, Les Terrasses Solidaires et Refuges Solidaires, sont au bord du gouffre. Le rythme est intense : chaque jour, des dizaines de personnes traversent la frontière franco-italienne et débarquent aux Terrasses, l’espace de quelques nuits. L’énergie militante est là, mais le manque d’argent plombe les deux structures, remettant directement en question leur capacité d’accueil des exilés. L’angoisse s’installe. « On a une trésorerie d’un mois », alerte Capucine, qui travaille aux Terrasses. « Donc, on a un mois pour trouver de quoi pérenniser les Terrasses Solidaires. » Le risque: la fermeture pure et simple.
Les Terrasses Solidaires, lieu associatif, coordonnent et domicilient cinq autres associations, dont Refuges Solidaires. Maraudes, hébergement d’urgence, soins, soutien juridique… tout est tourné vers l’accueil. « On se perçoit comme un lieu de répit à la frontière », résume Sasha, employée de Refuges Solidaires. Un répit à bout de souffle. Les deux assos sonnent l’alerte pour elles-mêmes : « On est en risque de fermeture. » Pour tenir, elles ont coupé dans le vif. De sept salarié·es chez Refuges, il n’en restera qu’un·e seul·e. « On va devoir faire quasiment que du bénévolat », conclut Sasha. Mais même ça, ça ne suffira pas à les tirer d’affaire.
« Le plus urgent, c’est de sauver les missions de l’accueil, parce qu’il n’existe pas d’autre structure capable d’accueillir 68 personnes par jour dans le briançonnais. »
Capucine, Les Terrasses Solidaires
Les financeurs ne donnent plus
Aucune des deux associations ne dépendait de subventions de l’État. Mais depuis peu, les vannes se ferment. Les fonds privés sur lesquels reposaient leurs financements sont aujourd’hui pris d’assaut. Depuis le vote du budget 2025 et les économies demandées par l’État qui se répercutent directement sur les subventions aux associations, c’est l’effet domino: « Énormément d’associations se sont retrouvées impactées », explique Capucine. Résultat, toutes se tournent vers les mêmes fondations privées, qui doivent faire des choix. « Elles nous ont contactées pour nous dire qu’elles allaient donner à davantage d’associations, donc moins. » Alors, au final, Terrasses et Refuges trinquent.
Aujourd’hui, une seule fondation soutient encore les Terrasses. « Soit elles aident les plus grosses associations comme SOS Méditerranée, ce qui est très bien, soit elles s’orientent vers une autre thématique », constate Capucine. « La migration, dans la tête des gens, c’est seulement une crise, alors que c’est structurel. » Pire, pour la militante, c’est un cercle vicieux: plus une association semble mal en point, moins elle attire de soutiens.
« Si de l’extérieur on a l’impression que l’asso coule, les financeurs ne donnent plus, ça s’autoalimente. »
Sasha, Refuges Solidaires
« 15 000 euros par mois pour survivre »
Avec les fondations qui sont saturées, l’issue, désormais, ne peut venir que des dons de particuliers. Alors les deux associations tentent de mensualiser les dons, pour sécuriser au moins l’essentiel : payer les charges, maintenir un lieu d’accueil, ne pas fermer la porte.
Objectif : couvrir les frais de mise à disposition du lieu, qui s’élèvent à 210 000 euros par an pour Les Terrasses Solidaires. En principe, les charges sont partagées entre les différentes assos du lieu. Mais la marche est devenue bien haute pour elles seules: prises dans la même tourmente, elles aussi peinent à apporter leur contribution.
Lancée il y a peu, la campagne de dons mensuels peine à décoller. À peine 350 euros récoltés chaque mois, 2 000 si l’on compte les dons ponctuels. « Les Terrasses, c’est juste un bâtiment, ce n’est pas très sexy à vendre », résume Capucine. Pourtant, des euros, il en faudrait 6 500 par mois pour pérenniser leur fonctionnement. Sinon, rideau.
S’ils tirent un peu mieux leur épingle du jeu, pour Refuges Solidaires aussi, c’est la catastrophe: 30 000 euros levés en deux semaines. Un sursis de deux mois, à condition de licencier les salariés. Une décision déjà prise: « On a besoin de 15 000 euros par mois pour survivre », alerte Sasha. Les fonds récoltés iront en priorité à ce qu’il restera de l’accueil aux exilés, porté à bout de bras par les bénévoles.
« On aurait besoin de 3 500 personnes qui donnent 5 euros par mois. »
Capucine, Les Terrasses Solidaires
« Dans un mois et demi, on ne sait pas comment ça va se passer »
Les frais des deux assos n’ont rien d’extravagant: loyer, eau, électricité, gaz, réparations. Ensuite seulement viennent deux salaires à mi-temps, ceux de Capucine et d’une collègue qui tiennent la baraque. Leur travail permet aux autres structures de se concentrer sur l’accueil, plutôt que sur les fuites d’eau.
Ce rôle est tenu par Refuges Solidaires. L’asso héberge dans le bâtiment les personnes exilées pendant trois jours : pour manger, dormir, se soigner, avant de reprendre leur route. Un autre pôle se consacre à l’orientation et à l’information: traduction, aide juridique, repérage des villes-étapes. Les bénévoles assurent le quotidien, épaulés par les exilé·es eux-mêmes. « Ça les aide à reprendre un peu de pouvoir sur leur vie », explique Sasha. L’association prend aussi en charge les billets de bus ou de train pour la suite du trajet.
Mais le temps presse. Les salarié·es licencié·es rédigent un guide des bonnes pratiques à destination des bénévoles pour que le savoir-faire ne se perde pas: « Il y a un énorme travail de transmission », explique Sasha. Mais il n’existe pas d’autres structures équivalentes. Alors, il faudra que l’accueil tienne. Le reste peut être sacrifié. Ça, non.
Malgré nos sollicitations, la mairie de Briançon n’a pas daigné nous répondre.
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Pour faire un don mensuel aux Terrasses Solidaires : https://www.helloasso.com/associations/les-terrasses-solidaires/formulaires/3
Pour faire un don mensuel aux Refuges Solidaires : https://www.helloasso.com/associations/refuges-solidaires/formulaires/4